Je travaille comme intervenante communautaire dans un organisme famille. Par hasard, j’ai commencé à travailler avec des demandeurs d’asile. En travaillant avec eux, j’ai l’impression de vivre dans un monde parallèle, où mes repères habituels pour répondre aux besoins se heurtent constamment à un mur.
En cherchant à répondre aux besoins que j’estime légitimes, je suis aspirée vers quelque chose qui n’aboutit pas, dans une procédurite bureaucratique à laquelle je n’arrive pas à répondre, même si je suis bardée de diplômes universitaires et que j’habite ce pays depuis toujours.
J’ai fini par comprendre que les demandeurs d’asile ont très peu de droits : pas le droit aux allocations familiales, aux programmes de formation, pas le droit à l’école après le secondaire, ce qui crée de facto un appauvrissement inimaginable et limite leur possibilité de s’éduquer, de s’autonomiser, de s’épanouir.
Par ailleurs, les organismes pour personnes immigrantes offrent peu de services pour les demandeurs d’asile, puisque les services financés par le gouvernement sont très limités. Ces personnes sont donc constamment envoyées ailleurs, vers autre chose, elles tournent en rond, et les possibilités s’amenuisent. C’est l’impact de l’absence de certains droits.
Surtout, cette absence s’étire dans le temps : les délais de traitement des dossiers des demandeurs d’asile ont explosé. Avant, il y a quelques années, on parlait de huit mois pour avoir sa résidence permanente, maintenant c’est de quatre à six ans d’attente avant d’avoir un tel statut. Ce sont donc des années à vivre dans les limbes, sans droits.
Un sentiment d’impuissance
Comme intervenante, je suis sensible à leurs histoires faites d’inimaginable, de traumatismes et de violences, et j’aurais envie de les aider davantage, alors qu’ils sont aux prises avec des structures qui leur offrent si peu de droits. Alors, j’ai l’impression de faire peu, vraiment trop peu, par rapport à l’ensemble de leurs besoins, qui sont immenses. Je partage avec eux beaucoup d’impuissance.
Ces personnes, parmi toutes mes familles, sont les plus démunies, les plus vulnérables. Elles sont fortes aussi, pour avoir traversé parfois plusieurs pays, pour ne pas avoir renoncé à l’espoir d’un avenir meilleur, elles sont pour moi les plus reconnaissantes du petit bout d’aide et de la chaleur humaine que je leur apporte, elles sont paradoxalement les plus sensibles aussi à ce que je vis.
En février 2024, le ministre Jean-François Roberge a affirmé que l’arrivée massive de demandeurs d’asile posait un risque pour « l’identité québécoise »1.
Comment une famille qui vit dans un taudis, avec des enfants en bas âge, avec peu de scolarité et d’éducation, peut-elle représenter une menace pour quiconque ?
Le gouvernement en place – et ce discours est répété partout – cible les demandeurs d’asile et accuse l’immigration en général d’aggraver la crise du logement, alors que cette crise se profilait depuis plusieurs années déjà. Surtout, on entend très peu leur voix, et très rapidement, on justifie la privation de certains droits. Sait-on qu’ils n’ont à peu près rien ?
Pour ma part, derrière ces discours, ces chiffres, je vois toujours un petit bout de chou de 2 ans, aimé par ses parents, et que j’adore, qui veut tellement apprendre le langage et veut jouer lorsque je passe chez lui.
Socialement, je souhaite qu’on puisse apprendre à voir que derrière le discours autour des « demandeurs d’asile », il y a des hommes, des femmes et des enfants. Il faut dépasser leur invisibilité et bâtir avec eux un discours d’humanité.
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